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Pourquoi écrire dans la langue de l’autre ?


Onésime introduit en premier l’adjectif « francophone », puis après le nom « francophonie », un néologisme à travers lequel le géographe aura pour ambition de compter ceux et celles qui parlent français en dehors de la France



Par Abderrahim Anwar

Pourquoi écrire dans la langue de l’autre ?
Le premier à avoir forgé la notion « francophonie » est le géographe français Onésime Reclus ( 1937/1916). On assiste à son apparition dans un ouvrage intitulé France, Algérie et colonies et notamment dans le sixième chapitre intitulé « La langue française en France, en Europe, dans le monde. Langue d'oïl et langue d'oc. »

D’abord, Onésime introduit en premier l’adjectif « francophone », puis après le nom « francophonie », un néologisme à travers lequel le géographe aura pour ambition de compter ceux et celles qui parlent français en dehors de la France. Donc, la réalité de cette création est de comptabiliser que ça soit en Belgique, au Canada, en Afrique ou en Amérique latine les individus dont le français est quotidien. Il avance :
« […], nous acceptons comme francophones tous ceux qui sont ou semblent destinés à rester ou à devenir participants de notre langue : Bretons et Basques de France, Arabes et Berbères du Tell dont nous sommes déjà les maîtres. »1
De là, on comprend que la propagation de langue de l’Autre ( le français) ne date pas d’hier et elle était ,depuis la nuit des temps, initiée afin d’être usagée dans le monde entier.

La langue d’écriture à savoir le français avait contribué également à l’émancipation et au refoulement des individus de différentes manières. Il suffit de la rapporter à son principal facteur d’exportation, c'est-à-dire la colonisation pour bien percevoir la connotation idéologique qui lui est inhérente.

Dans ce climat de la littérature et maghrébine d’expression française et subsaharienne d’expression française qui fut produite et continue de l’être et dont  les figures emblématiques de l’ancienne et la nouvelle génération sont, sans doute, Mohammed Kheir-Edine,  Abdelhak Serhane, Taher Benjelloun, Boualem Sansal,  Mohammed Nedali, Kaouther Adimi, Yamen manai, avait considéré la langue de l’Autre comme une langue de violence alors que d’autres, de l’autre côté voyaient en elle une langue de richesse, Ferdinand Oyono, Camara Laye, Djaili Amadou Amal, Alain Mabanckou.

Or, d’autres écrivains dont le pays natal n’était pas colonisé avait choisi comme langue d’écriture le français, le cas d’Andrei Makine, en Russie, Atiq Rahimi en Afghanistan, Kim Thuy en Vietnam. La problématique donc s’articule non seulement sur les nouveaux enjeux mais également sur les nouveaux thèmes que ces nouveaux ont abordés.

Ainsi, la présente synthèse aura pour ambition de dresser un cadre comparatif entre les différentes aires géographiques et culturelles telles l’aire maghrébine, subsaharienne, asiatique, européenne de l’Est, du Moyen-Orient et de l’Amérique du sud afin de soulever les dits nouveaux enjeux qu’a reconnu cette littérature francophone partout dans le monde. Pour atteindre cet objectif, je mettrais en exergue les spécificités de l’aire maghrébine dont les thématiques récurrentes, puis après, je me pencherais sur les autres aires et plus précisément celles que la France n’a pas colonisées.

De prime abord, la littérature maghrébine d’expression française est passée par des étapes consécutives où dans chacune il était question de traiter des thématiques variées et diversifiée. La première génération s’est caractérisée par une prise de conscience identitaire et une réflexion sociale, elle privilégie la dimension ethnographique et acculturée dans le but de propager la culture maghrébine et traiter des thèmes tels que les traditions, la pauvreté, l’injustice, en effet , ils revendiquaient leurs droits. La deuxième, quant à elle, en a de même, mais avec une violence progressée. La troisième génération avait un autre choix : dénoncer non pas l’injustice de maitre coloniale mais celle de la cause nationale. Les écrivains y appartenant étaient engagés davantage dans une réalité présente, sociale et politique avec de grandes pointures telles Boualam Sansal, Mohammed Nidali, Yaman Manai

Pour décortiquer les thématiques qui traversent tout discours en filigrane, il fallait revenir aux soubassements de ce dernier, c’est-à-dire aux causes ayant poussé ses auteurs à se révolter. En Algérie, avec Boualem Sansal, le dissent, l’insoumis, et l’invincible, il s’agit dans ses écrits d’une profonde critique envers le système politique, particulièrement celui qui règne depuis des années et des années le front de libération nationale (FLN) qui au lieu d’aller de l’avant au profit de son pays le dégrade. Avec son écriture, il nous plonge dans des thèmes qui méritent d’être lus comme le terrorisme, l’islamisme, la harga avec son famuex roman Harragas, Un roman fantomatique, solitaire et épicé d'humour. La langue est subtile, mêlant sublime, familier et poésie. Un roman tout bonnement extraordinaire. Boualem Sansal aime son pays, n'en déplaise aux autorités algériennes.

Simplement, il n'aime pas ce que devient son pays et le dit. Avec courage. Avec Mohammed Nidali, au Maroc, on assite à un style poétique mais accru à travers lequel il attaque l’état, la société, sans hésiter. Dans ses écrits, il traite de la problématique sociale et politique du pays. Son écriture constitue un outil de lutte contre toute forme d’extrémisme, du fanatisme religieux et d'harcèlement. Ainsi, il a abordé d’autres thèmes tabous tel : le système judiciaire pourri, la corruption, la précarité, l'exode rural et le chômage. Cet auteur est considéré comme l'une des plus belles plumes parmi la nouvelle génération d’écrivains marocains d'expression française. Dans ses livres, il s'intéresse au destin des gens ordinaires de son pays face aux problèmes sociaux, politiques, religieux mais aussi culturels. Malgré, la noirceur de ses sujets, les livres de Mohammed Nedali sont pleins d'humour. Son choix pour la langue française c’est parce que, selon lui, c’est la langue qu'il connaît le mieux et dans laquelle il a beaucoup lu.

En Tunisie, cette fois-ci avec Yaman Manai, Il est l'un des représentants les plus talentueux de la nouvelle génération d'auteurs tunisiens. À travers son roman l'Amas Ardent, il a voulu créer une œuvre intemporelle et universelle qui ne se limite pas à un moment précis de l'histoire mais qui s'adresse à tous les hommes. Une œuvre tournée vers l’espoir : l'espoir d'un changement de la situation du peuple tunisien en particulier. Tout d’abord, écrire pour Yamen avait deux objectifs. Le premier était de parler au peuple pour qu'il prenne son destin en main, tout en le guidant pour mieux s'en sortir et trouver le droit chemin.

Son rôle, ainsi, était un éveilleur de conscience.  De plus, Écrire, était également une thérapie pour l'écrivain. Ceci lui permettait de guérir de la violence, et réfléchir sur le présent. Pour le choix de la langue française, Yamen Manai disait que c'était le moyen propice et idéal qui lui permet de toucher un panel plus large, et rendre la voix de la Tunisie plus audible. Les écrivains de l’aire subsahariens avaient une autre visée que celle des écrivains maghrébins. Djaili Amadou Amal est une femme de lettre et militante féministe Camerounaise qui trouve sa muse en écrivant en français, ou parce que le français une langue à travers laquelle les auteurs deviennent intrépide et osent parler des problèmes qui préoccupent leur pays.

Cette dernière aborde des sujets plus ou moins tabous comme la polygamie, les relations conjugales et surtout les droits de la femme., elle dénonce les pesanteurs socioculturelles dans la régions du Sahel, elle dévoile un système patriarcal violent , et critique la violence conjugale , le viol conjugal , le mariage précoce des filles, et la polygamie. Accusée d islamiste, elle conteste surtout l’amalgame que font les familles entre les traditions et l’Islam, elle affirme que ce n’est pas son but de parler sur la religion, mais de décrire la situation de la femme subsaharienne, cette condition est valable aussi bien chez les chrétiens , c’est la même en Afrique. Alain MABANCKOU, quant à lui, est resté dans le même bain que ses prédécesseurs en critiquant les attitudes racistes et sexistes envers les africains en France.

Il dénonce les clichés et les préjugés concernant l’homogénéité de ce groupe. Son roman Les Cigognes sont immortelles est un roman qui reflète son penchant et sa disposition. L’amour de la langue de l’Autre n’est pas liée à la colonisation ou au protectorat en ce sens que des écrivains d’autres continents quoi qu’ils n’aient été jamais colonisés avaient cette vocation pour le francais, Andréi Makine, le russe, en fut le bon exemple. Si la plupart des auteurs francophones sont issus des pays colonisés par la France, le cas d’Andréi Makine est particulier ; son pays n’était pas une colonie française. Or, il parlait cette langue depuis son plus jeune âge grâce à sa grand-mère d’origine française. Elle lui a transmis « sa France ». Makine écrit en français parce qu’il lui permet, d’abord, selon lui, d’échapper « aux ombres trop intimes de Tchekov ou de Tolstoi ».

Pour lui, le français a des qualités intrinsèques, c’est une langue si belle. Elle est riche, harmonieuse et très musicale. Parmi les thématiques majeures qui sont récurrentes chez cet auteur, nous trouvons celle de la quête d’identité, la nostalgie, la violence, l’exil, la fidélité, le bilinguisme, l’amour, l’amitié, l’espoir, la dictature, la recherche de la liberté, la pauvreté, la misère, la résistance, la dignité et la désillusion. Le français lui a donné une chance de s’exprimer aisément et de prendre la parole à bon escient en abordant des sujets qu’il n’aurait jamais pu croire aborder dans sa langue maternelle. Atiq Rahimi, lui explique : « On écrit en langue d’autres pour trouver une place dans la société où l’on vit, on voit ainsi le monde depuis cette nouvelle langue.

Une grande pointure qui tout au long de son parcours n’a cessé de défendre les causes nationales dont la victime est le peuple. L’Afghan écrit en langue française dans le but de s’en servir pour parler des tabous, pour décrire et écrire ce qu’il ne pouvait exposer surtout dans une langue maternelle et sans être dérangé par les alternatives doxiques de son pays. Il a traite plusieurs thèmes comme la religion, la guerre et même les thèmes interdits tels que l’oppression due à un islamisme radical, les contraintes de la religion, l’autorité masculine et le désir féminin. Une intrépidité qui lui a valu un succès incommensurable tant bien en Asie que partout dans le monde. Quittant cette fois-ci, l’Afghanistan, pour aller au Vietnam, chez une vietnamienne pédigrée Kim Thuy qui a fui son pays pour aller s’installer tôt au Québec avec sa petite à cause de la mauvaise situation qu’il y avait.

En arrivant au Québec, elle est tombée amoureuse des Québécois et de leur langue. « J’ai été accueilli par les Québécois, avec une telle générosité, une telle pureté, une telle gentillesse. Je me suis revue dans leur regard. Je n’ai jamais été aussi belle qu’à ce moment-là et je ne suis jamais redevenue aussi belle qu’à ce moment-là », avoue-t-elle. Elle a écrit beaucoup de romans Ru,2010, Vi,2016, dans lesquels elle traite des thèmes comme le vécu des exilés, la paix, l’amour, la patrie.

Le choix de la langue de Molière était une coïncidence imparable, Kim Thuy est arrivée au Canada à l’âge de 10 ans, et embrasse à la fois ses origines vietnamiennes et québécoises, pour elle écrire, c’est remplir une fonction existentielle, à travers un égocentrisme, elle ne fait qu’à réaffirmer son engagement envers toute personne contrainte à l’exil, Kim Thuy passe du moi privé au moi social et s’intéresse aux composantes changeante de l’identité bâtie sur le passé autant que le passé .Elle dit qu’elle a de la chance de pourvoir s’enraciner et d’intégrer une nouvelle culture , elle dit ainsi : j’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont replantée immédiatement dans le sol québécois à notre arrivée. 

En définitive, les nouveaux enjeux des écrivains qu’ils soient thématiques ou scripturaux ont apporté leurs fruits. Ils se sont focalisés sur le côté social et politique au détriment de la dénonciation de l’injustice du maitre coloniale, en mettant en scène des thèmes accrus qui suscitent l’intérêt et attire l’attention non seulement des lecteurs mais également des étrangers, qui de leur côté, se remettent en question pour identifier les causes à effets.

Une nouvelle littérature dite contemporaine dont la présente réalité sociale et politique figure dans tous les genres littéraires écrits par les auteurs : l’abus du pouvoir, la harga, la corruption, le racisme, l’islamisme, la guerre. A chaque époque, à chaque cadre socio-historico-culturel, une génération dont l’innovation et la nouveauté circulent dans les veines et apporte de nouvelles thématiques et de nouveaux styles d’écriture. Quelle serait alors la prochaine génération de la littérature francophone ?

Rédigé par Abderrahim Anwar

Références bibliographiques
1 - ONESIME. Reclus, «La langue française en France, en Europe, dans le monde. Langue d'oïl et langue d'oc. », In ; France, Algérie et colonies, Paris, Hachette, 1886 [éd. o. 1880], disponible sur le site : http://www.languefrancaise.net (consulté le 26.06.2007).






 



Mardi 22 Mars 2022

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